EveLiN Livre blanc: Leçon de chose sur l’Etat Civil III
Votre pays a finalement décidé de lancer un programme de modernisation de son état civil, vous vous interrogez sur sa mise en œuvre et sur la sélection du système informatique
La gestion de l’état civil appartient au domaine souverain, seule la nation peut décider de donner une identité, marier des personnes, enregistrer un décès. Dans le respect de ce principe de base, vous devrez dans un premier temps opter pour une organisation des procédures d’état civil qui collent à la réalité sociologique du pays, offre le meilleur service au citoyen et tient compte de l’état des communications du pays.
Vous avez deux choix de principe à faire:
1 – un choix d’organisation humaine
Deux modèles s’affrontent, d’un côté l’approche centrée autour de l’édile local, qui s’appuie sur l’organisation territoriale du pays, et lui affecte la fonction d’OEC, de l’autre la mise en place d’une organisation totalement dédiée aux opérations d’EC, qui répondent à une autorité indépendante.
2 – la sélection d’une architecture technique
Là encore deux écoles s’opposent : la première rattache au bureau de naissance de la personne tous les actes de sa vie civile (mariage, divorce, décès) ; s’il se marie ailleurs, la bureau de mariage doit vérifier auprès du bureau de naissance l’exactitudes des renseignements qui lui sont fournis, vérifier que la personne est libre de tout engagement et une fois la déclaration de mariage enregistrée, la notifier au dit bureau de naissance pour qu’il l’inscrive dans son registre.
La deuxième façon de procéder consiste à créer une base nationale qu’alimente l’ensemble des bureaux d’EC en déclarations de mariage, naissance et décès. C’est cette base, qui est consultée à chaque fois qu’un bureau est amené à enregistrer une déclaration.
Il est bien entendu possible d’envisager des systèmes hybrides, reposant sur de hubs régionaux, qui abritent des bases régionales qu’alimentent les bureaux locaux.
Les schémas ci-dessous illustrent les ces 3 options :
A noter que ce type de schéma n’interdit en rien une certaine redondance des bases de données. Même dans le schéma centralisateur où chaque agence locale est accrochée au site central, il est possible de la doter d’une autonomie en la dotant d’une base locale. Dès lors qu’un point de regroupement régional est mis en place, une base de données régionale est envisageable. Ces bases peuvent soit abritées leur population de référence et/ou interroger la base centrale voire disposer d’un duplicate au niveau régional.
La coexistence de toutes ces bases est évidemment un challenge technique, tant il s’agit d’assurer la cohérence de l’ensemble de ces bases. Cette multiplicité des bases est évidemment une réponse aux dysfonctionnements des couvertures télécom : il s’agit d’assurer un service minimum même en cas d’interruption de la couverture réseau.
Après avoir sélectionné un type d’organisation, il faudra procéder à un « toilettage de la législation » pour la rendre compatible avec le projet d’informatisation et l’organisation retenue. Les textes de loi qui gèrent l’état civil encadrent une pratique traditionnelle de registres papier, qu’il faut remettre au « goût du jour ».
La montée en puissance de l’organisation retenue est la difficulté majeure d’un chantier de modernisation de l’état civil. On peut accepter une durée de 5-7 ans avant que la nouvelle pratique administrative atteigne sa pleine efficacité. Durant toute cette phase intermédiaire, le pays a fortement intérêt à se faire épauler de spécialistes en gestion de changement.
La sélection de la solution informatique qui va supporter la nouvelle organisation est finalement la partie la plus aisée du chantier de modernisation. Comme dans toute opération d’informatisation, elle passe par la production d’un cahier des charges et une procédure d’appel d’offres.
Le bon sens doit guider le choix du prestataire:
– on donnera préférence à une approche de type progiciel, qui s’appuie sur un socle fonctionnel générique ; chaque pays a certes ses propres spécificités d’état civil, mais on retrouve partout des mêmes fonctionnalités. Le progiciel est moins couteux sur la durée qu’un développement spécifique ; il faut néanmoins qu’il puisse être aisément personnalisable.
– une telle acquisition s’évalue effectivement sur une durée minimum d’une quinzaine d’années. C’est le coût total du cycle de vie qui importe. L’acheteur devra faire des hypothèses simples de changement de plateforme, d’évolution de la législation afin d’établir un comparatif entre les offres.
-on privilégiera les technologies récentes, avérées et évolutives (client léger/web, possibilité de saisie en mobilité par smartphone ou tablette…).
Si l’on veut que le système installé atteigne très rapidement sa pleine utilité opérationnelle, il faut que ses bases de données soient dès l’origine « remplis » des actes d’état civil de la population existante.
Deux options sont alors ouvertes et doivent être traitées avec une égale circonspection, une évaluation de leur coût de l’opération et de la fiabilité du résultat obtenu doit être menée.
Approche traditionnelle : scanning des registres papiers ou intégration éventuellement des bases de donnée existantes.
- Le tri de l’information fiable qui peut être reprise sans polluer la nouvelle base constituée peut se révéler prohibitif et fondamentalement très arbitraire tant il est vrai que la mesure de la fiabilité d’une information est souvent subjective.
- Le coût de la reprise est également significatif : les registres papiers sont souvent de qualité très insuffisante et leur digitalisation ne peut être automatisée : un mode manuel et coûteux doit être mis en œuvre.
- L’impossibilité éventuelle de déplacer les registres et de les décomposer en autant de feuilles unitaires renforce le caractère onéreux de l’opération. Le processus “industriel” décrit ci-après n’est pas toujours admis:
Approche de rupture : rénovation totale de l’état civil, réenregistrement de l’ensemble de la population, émission de nouveaux actes d’état civil
- Véritable recensement de la population, l’opération est en règle générale mutualisée avec d’autres objectifs, notamment celui de constituer un registre de population fiable, garantie sans doublon avec discriminant biométrique.
- La difficulté de ce type d’opération est d’assurer la fiabilité de l’information demandée qui assure l’identité de la personne, quels sont les documents demandés, comment s’assure-t-on de leur authenticité ?
Une troisième option est théoriquement envisageable, celle qui consisterait à mettre à jour la base de données au fur à mesure des nouveaux actes. Au moment de la déclaration de naissance d’un nouveau-né, on en profite pour créer l’acte informatique de la naissance des parents et on saisit également leur mariage (si l’union est officielle). De même, à chaque fois qu’un quidam qui n’est pas encore dans la base demande une justification administrative de naissance (pour un extrait de casier judiciaire, pour son dossier militaire…), on le saisit dans la base de référence.
Cette approche qui revient à réenregistrer l’ensemble de la population sur une durée qui peut prendre une vingtaine d’années présente de très gros obstacles en matière logistique : Il n’est pas simple d’ajuster la capacité administrative de l’organisation, qui répond à une demande qu’il n’est pas simple d’anticiper, l’exigence de rigueur qui doit peser sur la vérification des éléments d’identité « antérieurs » doit être maintenue pendant une très longue période, ce qui n’est jamais simple.
Antoine Boulin: Consultant État Civil pour la société Digitech